Publié dans SUD OUEST Dimanche du 20/05/2012
Par Philippe Baroux

C’est une longue chevelure cuivrée aux délicats reflets blonds ; un frisson d’eau où se perdent vers le large toutes les ocres de l’amont. Dans cet étranglement des îles du Blayais, la Gironde feint des airs de docile canal hollandais frangé de roselières. La fureur du courant s’est assagie, le vent est tombé. C’est la renverse de marée. L’aboiement d’un chien, et les claquements d’une chaîne d’ancre percent le silence de la fin de journée. La paix retrouvée.

Le cotre auriques rétais « Jules » laisse filer l’élégance devant l’Île de Patiras. (photo pascal couillaud)
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Rive droite, la citadelle de Vauban veille sur ce paradis sauvage et mystérieux, tandis que, sur l’autre berge, Pauillac flatte la renommée de ses prestigieux crus. Les Beychevelle, La Tour, Beaucaillou et autre Rothschild, ont ainsi pu saluer les pavillons de la flottille des Voiles d’estuaire. Quarante voiliers traditionnels qui, depuis jeudi et jusqu’à aujourd’hui, naviguent sur l’embouchure du fleuve. Ils s’offraient vendredi une escapade, loin en amont, là où le murmure des eaux fait briller la lumière, même sous un ciel plombé d’étain. Le soir au mouillage devant l’Île Margaux, la manœuvre à peine terminée, les volutes de six moutons embrochés s’invitaient à bord pour chatouiller la gourmandise de 160 équipiers. Sur l’îlot, la fête s’annonçait belle autour des braises du méchoui. Mais, il restait encore à mouiller l’ancre, mettre un peu d’ordre sur le pont, trousser les voiles en prévision de la nuit, et à remonter la mousse belge du fond du carré, histoire de rafraîchir des gosiers éprouvés par une longue navigation.

Le chenal à la lampe torche

C’est que, pour composer avec la marée, les plus imposants gréements de la flottille avaient appareillé tôt le matin, dans le halo des torches cherchant les balises du chenal. Départ à 5 heures de Port-Maubert, ce petit trésor blotti dans le creux des rondeurs de Saint-Fort-sur-Gironde, sur la côte charentaise-maritime. Foc, trinquette et grand-voile pour capter la brise et, le temps d’une grande transversale dans le matin naissant, « Lola of Skagen », « Clapotis », la « Gabare de Gironde » et leur suite, s’en allèrent mouiller devant la rive gauche, sous Valeyrac. Sur son promontoire, le château Tour de By fut ainsi la première sentinelle médocaine dont la flottille installa le siège pacifique. Le rendez-vous pour le regroupement avait été fixé là, à 75 kilomètres en aval du Pont de Pierre bordelais.

Mots de marine d’antan

À 13 heures, profitant du flot qui pousse gentiment au derrière, une quinzaine de majestueuses parures commencèrent alors à habiller l’estuaire. Voiles écrues, blanches ou rouilles. Les zodiacs des organisateurs (1) butinaient d’un bord à l’autre. Les équipiers s’interpellaient à voix haute, savourant la belle marche du navire d’à-côté, les bons réglages du sien. « Jules », « Augustine », « Naga Lee », « Copelia », « JJ 2 », « L’Ami Pierre » « Petit Louis », et tant d’autres, évoquaient ce que la charpente de marine taille de plus sûr et d’élégant. Des défis au temps.

Bientôt, la flottille des grands frères fut rejointe par les filadières de l’estuaire, plus légères, véloces, et clairement dessinées pour jouer avec le puissant courant de « la rivière ». Un air de fête qui résonnait sur les marches des prestigieux vignobles de Saint-Christoly, Saint-Estèphe ou de Pauillac, dans le charme désuet des mots de la marine d’autrefois, caps de moutons, cabillots et autres drisses de fortune. Cinq ou six heures de belles images plus tard, les mêmes prenaient leur mouillage devant Margaux. Alignés comme à la parade. Et, devant la beauté du paysage, aucun de leurs propriétaires n’eut à regretter que cette année, Voiles d’estuaire eut choisi pour thème « Les îles de la Gironde ».

(1) La Station nautique du pays royannais et l’association Patrimoine navigant en Charente-Maritime